Cher Président de la République Française, Cher François, Copain (socialistes, intermittents... on est potes, on bouffe dans la même gamelle!).

J'aimerais vous parler du plaisir que j'ai à vivre dans notre pays que vous gouvernez si bien depuis deux ans, et dans lequel je profite pleinement du système depuis plus de 10 ans.

J'ai plaisir à vivre dans un pays où tout semble gratuit, même si les coûts cachés sont exorbitants. On appelle ça "l'exception culturelle française". Le monde entier nous l'envie, même si personne ne nous imite.

J'ai plaisir à exercer mon métier d'artiste dans ce même pays, où je peux kiffer de ne rien faire aux frais des autres, et inventer des spectacles bidons que personne n'ira voir mais que je pourrai mettre sur mon CV.

J'ai d'autant plus de plaisir à être artiste dans ce pays qu'au début, quand j'ai commencé ce métier il y a plus de 10 ans, je n'avais d'artiste que le nom, donc je ne ramenais pas un sous. Sans le pognon gratuit qui m'a été distribué, j'aurais dû travailler, comme tout le monde. J'ai pu faire des spectacles sans grand intérêt et sans grand public, le plus souvent payés par l'Etat (encore lui), qui a besoin de dépenser de l'argent pour justifier ses impôts. Certes, mon rare public trouvait ça nul, mais moi je kiffais, je me sentais *artiste*, et mon CV se densifiait.

Et puis, à force de spectacles subventionnés et d'aides à la création, un jour, ça a commencé à marcher, tellement qu'un moment j'ai gagné un peu de pognon "par moi-même", et l'Etat a arrêté de me verser du pognon des autres. Et même que j'ai dû payer à l'Etat une partie du pognon que je gagnais! non, pas 60% quand même, vous êtes fou!? qui accepterait de payer 60% de son salaire en charges sociales? Bref, maintenant, je suis contributrice nette du système! et on est nombreux comme ça, à avoir végété pendant une ou deux décennies sur le dos des autres, avant de donner quelques euros au système... CQFD, vous voyez bien que c'est un bon système!

Alors moi je crois, Monsieur le Président, qu'il faut le garder notre système, le réformer un peu sans doute, et mes copains marxistes de la Coordination des Intermittents ont des supers idées pour continuer à extraire le pognon des autres sans douleur. Mais s'il vous plaît, ne nous empêchez pas de vivre notre rêve sur le dos des autres. Après tout, qu'est-ce qui empêche tout un chacun de profiter aussi du système et de "faire l'artiste"?

Parce que le principe d'une carrière d'artiste, c'est qu'il y a des hauts et des bas: parfois, on est au sommet, parfois, on est dans le creux. Et moi, comme je suis plus souvent dans le creux qu'au sommet, je suis pour qu'on donne du pognon aux artistes qui sont dans le creux. Mais nous, les artistes, sommes généreux: ceux qui ne sont pas artistes mais qui sont dans le creux peuvent nous rejoindre et devenir artistes, eux aussi, et vivre grâce au pognon des autres.

D'ailleurs, copain François, vous autres politiques, vous n'êtes pas les derniers à profiter du système, pas vrai? vous voulez qu'on fasse des spectacles sur vos avantages indus, vos maîtresses et vos casseroles? vous voulez qu'on en parle à la télé? non? alors, soyez intelligents, regardez plus haut, plus loin... et surtout ailleurs. Vous nous laissez profiter, on vous laisse profiter. Est-ce que le travailleur moyen y verra une différence sur sa fiche de paye? non, ça fait quarante ans que ça dure.

Allez, je te laisse réfléchir. Mais je pense que tu as compris.

Oops, je t'ai tutoyé. Bof, de toute façon, les gens le savent qu'on est copains comme cochons!

See you soon autour de petits fours, au ministère de la culture et de l'exception française.

Bises,
Camille

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